Que sont les « Twitter Files », ces informations censément compromettantes pour Biden ?


A travers les « Twitter files », qu’il a contribué à rendre publics, Elon Musk entend prouver que l’ancienne direction de Twitter ne respectait pas le premier amendement de la constitution américaine. Mais la démonstration tourne court.

L’homme le plus riche du monde, l’entrepreneur libertarien Elon Musk, en a fait la promesse dans la soirée du 2 décembre à ses 120 millions d’abonnés : il allait révéler « ce qui s’était vraiment passé » avec la suppression sur Twitter d’un article sur le fils de Joe Biden, Hunter Biden, qui avait scandalisé le camp républicain durant la campagne de 2020. Ces supposées révélations ont largement fait l’actualité sur le réseau social durant le week-end.

Qu’est-ce exactement que les « Twitter files » ?

Les « Twitter files » sont un ensemble d’extraits de correspondances internes à Twitter, publiés sur le réseau social par le journaliste américain Matt Taibbi. Le nom « Twitter files » (dossiers Twitter) a été créé par Elon Musk lui-même. M. Taibbi ne précise pas comment il a obtenu ces documents, mais il fait peu de doutes qu’ils lui ont été transmis par Elon Musk, qui avait promis de rendre publiques les discussions internes à Twitter sur un certain nombre de dossiers.

Publié ce 3 décembre, le premier volet des « Twitter files » porte sur la manière dont Twitter a bloqué la diffusion d’un article du tabloïd conservateur New York Post en octobre 2020, en pleine campagne électorale américaine, consacré à des documents présentés comme issus d’un ordinateur portable appartenant à Hunter Biden, le fils de Joe Biden. Le New York Post avait à l’époque publié des extraits d’e-mails suggérant que Hunter Biden aurait bénéficié des connexions politiques de son père pour faire des affaires en Ukraine. Des photos à connotation sexuelles ou montrant Hunter Biden consommant de la drogue avaient aussi été diffusées en ligne et présentées comme issues du même ordinateur.

Le reste de la presse américaine avait traité ces documents avec une grande prudence. L’ordinateur aurait été confié par Hunter Biden à un magasin d’informatique pour une réparation, puis aurait atterri dans les mains d’un avocat de Rudy Giuliani, l’avocat de Donald Trump ; M. Giuliani aurait ensuite transmis l’ordinateur à Steve Bannon, l’ex-conseiller de Donald Trump. Ce circuit rocambolesque laissait fortement craindre que les fichiers aient pu, au moins en partie, être manipulés.

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A l’époque, Twitter comme Facebook avaient bloqué ou limité la diffusion de l’article du New York Post, craignant qu’il puisse s’agir d’une manipulation, possiblement orchestrée par les services de renseignement russes. Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, a récemment confirmé que ses équipes avaient été alertées, peu de temps auparavant, par le FBI, de possibles tentatives de manipulations russes à venir, sans mention spécifique de cette histoire.

A l’époque, les grands réseaux sociaux américains craignaient de voir se répéter le scénario de 2016, lorsqu’ils avaient laissé proliférer sur leurs plateformes diverses théories du complot basées, pour certaines, sur les e-mails dérobés par les services de renseignement russes au comité national du parti démocrate.

Qu’apprend-on que l’on ignorait auparavant ?

Peu de choses : les extraits de documents publiés par M. Taibbi ont pour principal intérêt d’illustrer les débats internes à Twitter sur ce dossier, et les interrogations d’une partie de l’équipe dirigeante qui se demande si le blocage de l’article du New York Post est une bonne idée. Les documents publiés ne contiennent aucun élément sur le fond du dossier Hunter Biden.

De nombreux sites et influenceurs trumpistes ont par ailleurs amplifié et déformé le contenu de ces e-mails pour en exagérer la portée, comme si l’embarras de la plateforme dans cette affaire était nouveau. Face à la critique des commentateurs républicains, la compagnie avait pourtant fait marche arrière quarante-huit heures après sa décision originale, et débloqué le compte du New York Post quinze jours plus tard. Jack Dorsey, précédent président de Twitter, avait déjà reconnu en mars 2021 que la suppression automatisée des articles du New York Post avait été « une erreur totale ».

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Elon Musk a affirmé que les « Twitter files » montraient que l’entreprise avait sciemment violé le premier amendement de la Constitution américaine, qui garantit le droit à la liberté d’expression et interdit largement au gouvernement de censurer ou d’interdire des opinions. Il voit dans le fait que l’équipe de campagne de Joe Biden ait demandé le retrait de plusieurs tweets une « preuve » de ces violations, mais ce n’est pas le cas.

D’une part, à l’époque de ces échanges, Joe Biden n’est pas encore président. Il ne s’agit donc pas d’une demande gouvernementale, mais de celle d’un particulier. D’autre part, le fait que l’équipe de Joe Biden ait demandé le retrait de certains messages – qui s’avèrent, après examen, être des tweets contenant des photos du pénis de Hunter Biden – n’a rien d’illégal, ni de nouveau. Dans tous les pays où Twitter est implanté, des « points de contact » existent entre les équipes de campagne et le réseau social. Quoi que l’on pense du volet politique du dossier Hunter Biden, la diffusion non consensuelle d’images à caractère sexuel est interdite par les règles de Twitter.

M. Taibbi affirme par ailleurs que les deux principaux partis politiques américains, républicain et démocrate, avaient accès à un canal direct pour demander la suppression de messages, mais que ce système favorisait largement les démocrates. Il n’apporte aucune preuve à cette affirmation. En revanche, si Twitter a bel et bien supprimé des messages à la demande de la Maison Blanche – à l’époque dirigée par Donald Trump –, la question d’une éventuelle violation du premier amendement pourrait se poser, mais M. Taibbi ne donne aucun exemple de ce type.

Comment ces « Twitter Files » ont-ils été accueillis ?

La publication de ces documents a été accueillie avec jubilation par les ardents supporteurs de Donald Trump, pour la plupart convaincus que le 42e président américain avait été victime d’une machination ayant empêché sa réélection en 2020. Ils sont interprétés comme la preuve d’une grande collusion entre les géants de la tech, les médias institutionnels et le parti démocrate.

Donald Trump, sur le réseau social qu’il a fondé après avoir été chassé de Twitter début 2021, Truth Social, a dénoncé « une fraude et une tromperie massive et répandue » impliquant le parti démocrate et les « big tech compagnies ». Le vaincu des dernières élections a suggéré la « résiliation de toutes les règles, régulations et articles juridiques, même ceux de la Constitution » afin que sa réélection soit reconnue, ou un nouveau scrutin organisé.

Chez les opposants de Trump, ces dossiers Twitter apparaissent au contraire comme un pétard mouillé, puisqu’ils n’apportent aucune information sur le fond de l’affaire Hunter Biden, alors que celui-ci est visé aux Etats-Unis par une enquête fédérale. Ils ne révèlent pas non plus d’éléments nouveaux sur la modération de Twitter, connue et décriée pour son caractère souvent illisible, arbitraire et incohérent, si ce n’est qu’elle illustre les désaccords et l’embarras qui régnaient au sein même des équipes.

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Pour le journal Wired, ces Twitter Files annoncent surtout l’épineuse question de la modération depuis le rachat du réseau social par Elon Musk, qui a décidé de promouvoir personnellement et activement une liberté d’expression quasi absolue. Il a ainsi choisi de débloquer les comptes de Donald Trump, du principal contributeur du site néonazi Daily Stormer, Andrew Anglin, ainsi que du rappeur complotiste et antisémite Kanye West. Avant de promptement rebloquer ce dernier, qui venait de glorifier Hitler.



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